Le Final Cut est une expression anglo-saxonne fréquemment utilisée dans l’industrie cinématographique pour décrire la version finale d’un long-métrage de cinéma, après que toutes les décisions créatives ont été prises et que le montage final a été effectué. Les enjeux économiques et artistiques liés à cette approbation de la version définitive du film sont capitales pour les producteurs, les réalisateurs et autre intervenants professionnels du monde de l’audiovisuel.
Or, le régime juridique européen (au sens continental du terme) diffère de celui en vigueur aux Etats-Unis et notamment dans les studios de Hollywood. Et la jurisprudence française comme européenne le fait savoir.
Du point de vue économique, le Final Cut peut avoir un impact significatif sur la réussite financière d’un film. Les producteurs peuvent être préoccupés par le fait que le réalisateur tournant en droit français utilise son droit moral pour inclure des éléments coûteux ou pour prolonger la durée du film ou même faire arrêter la film, ce qui pourrait entraîner des retards de production et des coûts supplémentaires. Il est souvent considéré comme un symbole de l’autonomie créative et de l’intégrité artistique d’un réalisateur.
Les multiples attributs du droit français
Rappelons que, en France, la propriété littéraire et artistique accorde aux bénéficiaires des droits d’auteur, deux types bien distincts de prérogatives.
On peut identifier, d’une part, les droits patrimoniaux, appelés aussi droits pécuniaires et, d’autre part, les droits moraux, communément désignés de façon générique par l’expression « droit moral ». Chacune de ces familles de droits relève d’une nature particulière et possède ses propres caractères.
Les droits patrimoniaux sont un monopole d’exploitation accordé au titulaire du droit d’auteur. Le titulaire d’origine est en principe l’auteur, mais ses droits peuvent être par la suite transmis à un producteur, des héritiers, etc.
Pour ce qui concerne l’audiovisuel, les droits patrimoniaux de l’auteur sont constitués par le droit d’exploitation de l’œuvre. A ce titre depuis 1985, selon l’article L.132-24 du CPI, le producteur de l’œuvre audiovisuelle est présumé cessionnaire des droits exclusifs d’exploitation puisqu’au sens de l’article L. 132-23, le producteur d’œuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre (statut octroyé dès 1939 par la jurisprudence). En France, le producteur acquiert les droits d’auteur, tandis qu’aux États-Unis, le producteur est considéré comme l’unique auteur en vertu de la règle du « work made for hire », qui accorde cette qualité non pas à ceux qui expriment leur personnalité dans une œuvre, mais à leur employeur.
Le point de départ de cette œuvre audiovisuelle est bien évidemment le scénario, auxquels sont attachés des droits d’auteur, lequel scénariste cède en général ses droits au producteur.
Les particularités des droits patrimoniaux
La vocation des droits patrimoniaux est de permettre à l’auteur de tirer profit de son œuvre. Ces droits sont en effet cessibles : ils peuvent faire l’objet de transactions commerciales avec un producteur cinématographique. Le cessionnaire acquiert une véritable propriété sur ces droits et pourra, sous certaines conditions, procéder à son tour à de nouvelles cessions.
La propriété sur les droits patrimoniaux est cependant sujette à une contrainte importante : sa durée est limitée dans le temps. À l’issue d’une période déterminée, l’œuvre tombe dans ce que l’on nomme communément le « domaine public ».
Les droits moraux
Le droit moral de l’auteur au cinéma est composé de plusieurs aspects importants qui permettent à l’auteur de protéger son œuvre et son identité en tant que créateur. Tout d’abord, le droit à la paternité permet à l’auteur d’être reconnu comme le créateur de l’œuvre et de recevoir le crédit qui lui est dû. Ensuite, le droit au respect de l’œuvre permet à l’auteur de s’opposer à toute modification ou altération de l’œuvre qui pourrait porter atteinte à son intégrité artistique. De plus, le droit de divulgation permet à l’auteur de décider quand et comment son œuvre sera présentée au public. Enfin, le droit de retrait ou de repentir permet à l’auteur de retirer son œuvre du marché si elle est utilisée de manière abusive ou détournée. Dans l’ensemble, le droit moral de l’auteur au cinéma est un ensemble de prérogatives essentielles qui permettent aux auteurs de contrôler l’utilisation de leur travail et de protéger leur identité en tant que créateurs.
Ils sont l’objet d’un important chapitre du CPI qui s’étend de l’article L. 121-1 à l’article L. 121-9. L’ensemble de ce chapitre péchant par une rédaction lacunaire et maladroite, il faut, au vu de la jurisprudence et de la doctrine, en généraliser les conclusions. C’est pourquoi des caractères que la loi n’attribue qu’à certains droits moraux s’appliquent, dans la pratique, à l’ensemble des droits moraux : droit de divulgation, droit au respect du nom et de la qualité, droit au respect de l’œuvre et droit de retrait ou de repentir.
L’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle énumère les différents droits moraux dont dispose l’auteur d’un film. Cependant, pour pouvoir exercer ces droits, il est nécessaire que le film soit achevé. À titre d’exemple, un juge des référés a été appelé à interdire la diffusion d’un film car le réalisateur s’opposait à la divulgation d’une version définitive qui n’avait pas été validée par lui. Le juge a reconnu que le réalisateur avait des motifs valables pour s’opposer à la divulgation de cette version définitive.
Le droit de divulgation de l’oeuvre
Selon le droit français, les prérogatives accordées au réalisateur découlent de son droit moral, qui comprend notamment le droit de divulgation et le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre. Ces droits sont en principe inaliénables et ne peuvent pas être renoncés par anticipation. Toutefois, il est possible de convenir de certaines modalités dans le contrat de production pour aménager ces droits (en prenant en compte les commentaires du producteur, en fixant des délais pour l’émission d’avis, etc.). Si l’une des parties refuse de coopérer de bonne foi, elle pourrait engager sa responsabilité contractuelle et un refus abusif pourrait être contesté devant les tribunaux.
Le droit de divulgation est inscrit dans le CPI à l’article L. 121-2.
Celui-ci précise que l’auteur « détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ». Le droit de divulgation est le droit par lequel l’auteur est seul à décider si son œuvre peut être ou non rendue publique. Quand bien même il serait lié par un contrat et tenu de livrer un film, les tribunaux ne peuvent l’y forcer s’il s’y refuse. Les magistrats lui demanderont de verser à l’éditeur une compensation pécuniaire, mais en aucun cas ils ne lui feront obligation de livrer son œuvre.
De même, quiconque entre en possession du support matériel d’une œuvre ne peut la divulguer qu’avec le consentement de l’auteur.
Caractères des droits moraux
Les droits moraux possèdent certains caractères qui en font des droits beaucoup plus forts que les droits patrimoniaux. Le deuxième alinéa de l’article L. 121-1 énonce tout d’abord que le droit moral est attaché à la personne de l’auteur. Ce qui revient à dire qu’il est intransmissible du vivant de l’auteur. Le même article précise d’ailleurs que les droits moraux sont inaliénables. L’auteur ne peut en être dessaisi d’aucune façon.
Il ne peut non plus les céder : toute clause contraire insérée dans un contrat s’avérerait nulle. En revanche, le droit des États-Unis autorise, et même encourage, la cession du droit moral de l’auteur à son cocontractant. Il ne faut pourtant pas que les éditeurs français se leurrent. Quand bien même l’auteur américain aurait consenti, plus ou moins librement, à certaines modifications de son œuvre aux États-Unis, il reste en droit de demander le rétablissement de ses volontés pour ce qui concerne l’édition française. Il s’agit là d’une simple transposition au milieu littéraire du principe élaboré par la Cour de cassation lors de la « colorisation » du film de John Huston The Asphalt Jungle. Les producteurs américains avaient librement « colorisé » le film. Mais Angelica Huston, l’héritière du réalisateur, a pu faire interdire en France la projection de cette nouvelle version.
En outre, l’auteur ne peut abandonner ses droits moraux. Aucune clause ne peut lui faire renoncer à l’exercice de ses droits moraux. De son vivant, seul l’auteur est jugé apte à apprécier les conditions morales qui doivent accompagner la diffusion de sa création. Cela signifie que les droits moraux sont à exclure des biens visés par le régime matrimonial comme de toute répartition consécutive à un divorce.
Bien entendu, les droits moraux de l’auteur ne peuvent lui être saisis.
L’article L. 121-1 du CPI précise ensuite que les droits moraux sont aussi perpétuels. En effet, ils peuvent être exercés après le décès de l’auteur et après l’extinction de la durée des droits patrimoniaux attachés à son œuvre. Ils sont véritablement éternels. C’est ainsi que, dans une affaire plaidée par le Cabinet Pierrat en 2004, les héritiers de Victor Hugo ont pu, alors que l’œuvre était tombée dans le domaine public depuis plusieurs années) intervenir contre une édition des Misérables qui se présentait sous une forme passablement abrégée. De même, ils ont pu faire sanctionner « la suite » de la même œuvre.
Les droits moraux sont imprescriptibles. Ils ne peuvent donc subir le sort d’autres droits qui, par négligence, deviennent la propriété d’autrui après un certain nombre d’années. Ils ne peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive. Quand bien même une atteinte serait tolérée pendant plusieurs années, le titulaire des droits moraux reste toujours en mesure d’intervenir pour la faire cesser.
Enfin, les droits moraux sont considérés comme quasi discrétionnaires : l’auteur peut les exercer presque librement. Cependant, de même que le droit de retrait ou de repentir ne peut avoir pour base l’argent, les abus et les actes gouvernés par une volonté vexatoire ne sont pas à l’abri de poursuites en justice.
Le droit moral de l’auteur ne peut pas être utilisé pour restreindre la liberté d’expression et de communication. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que le droit moral de l’auteur ne pouvait pas être utilisé pour empêcher la diffusion d’une œuvre qui est d’intérêt public. Par conséquent, si l’œuvre d’un auteur est considérée comme étant d’intérêt public, le droit moral de l’auteur ne peut pas être utilisé pour empêcher sa diffusion.
Enfin, le droit moral de l’auteur ne peut pas être utilisé pour s’opposer à l’exploitation économique d’une œuvre. En effet, le droit moral de l’auteur ne permet pas à l’auteur de contrôler la façon dont son œuvre est exploitée commercialement. Par conséquent, l’auteur ne peut pas utiliser son droit moral pour s’opposer à la distribution, à la vente ou à la location de son œuvre.
En conclusion, bien que le droit moral de l’auteur soit un droit important pour les créateurs de films, il est soumis à certaines limites, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression, la durée de protection, les exceptions au droit d’auteur et l’exploitation économique de l’œuvre. Il est donc important pour les auteurs de comprendre ces limites afin d’exercer leur droit moral de manière efficace et de protéger leur œuvre de manière adéquate.
Le Final Cut et la jurisprudence française
Il existe plusieurs décisions de justice en France concernant les liens entre le Final Cut au cinéma et le droit moral du producteur.
En 2001, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt que le réalisateur d’un film a le droit de décider du montage final, mais que le producteur conserve un droit de regard sur le montage.
La jurisprudence française a reconnu que le « final cut » (le droit de décision final sur le montage d’une œuvre) est d’ordre public en France, ce qui signifie que les clauses de contrat qui confèrent le pouvoir de décision exclusif du montage définitif à la société de production sont nulles et contraires à l’ordre public.
Cependant, la question se pose de savoir si un contrat de production audiovisuelle régi par une loi étrangère pourrait contourner ce régime. La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) transpose les dispositions de l’article L.121-1 du CPI dans le droit européen, ce qui pourrait permettre aux auteurs de se prévaloir de leurs prérogatives avant l’achèvement de l’œuvre.
Par ailleurs, la jurisprudence a également reconnu que le droit moral de l’auteur est d’ordre public au sens du droit international privé, ce qui pourrait permettre aux auteurs qui ne sont pas résidents habituels en France de faire valoir leurs prérogatives en cas de contrat soumis à une loi étrangère contraire. En somme, les prérogatives du réalisateur prévues par l’article L.121-5 du CPI pourraient être considérées comme d’ordre public au sens du droit international privé et être invoquées comme une exception d’ordre public à la loi étrangère qui énoncerait un régime contraire, pour la neutraliser.
Le rôle de la Cour de Justice de l’union Européenne et de l’Union Européenne dans l’affaire Luksan
Depuis 2012, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne a évolué, notamment avec l’arrêt Luksanrendu en faveur du réalisateur autrichien éponyme. Cette décision a interprété les textes européens comme étant contraires à une législation nationale qui accordait automatiquement et exclusivement les droits d’une œuvre audiovisuelle au producteur, rejetant ainsi tout système similaire à celui du « work made for hire ». En outre, la directive de l’Union européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique adoptée le 17 avril 2019, a établi des règles visant à protéger les auteurs lors des négociations contractuelles, incluant notamment des dispositions sur la rémunération proportionnelle, les obligations d’exploitation et de transparence, ainsi qu’une procédure extrajudiciaire pour le règlement des litiges. C’est la première fois que de telles mesures sont mises en place.
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